La précarité et la sous-consommation des ménages peuvent impacter l’agriculture
D’après les dernières statistiques de l’Insee sur l’évolution du niveau de vie des Français, la précarité progresse dans l’Hexagone, avec des conséquences sur la consommation des ménages. Un point qui pourrait bien affecter le monde agricole.
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Avec un taux de précarité au plus haut depuis que l’Insee étudie l’évolution du niveau en France (1996) et un accroissement des inégalités qui place la France en dessous de la moyenne européenne sur ce point, les derniers chiffres de l’Insee concernant l’évolution du niveau de vie des Français sont plutôt moroses. Pourquoi les agriculteurs doivent-ils s’en soucier ? demande Marine Raffray, économiste, dans la Lettre économique des chambres d’agriculture de septembre dernier.
9,8 millions de personnes se trouvaient ainsi dans la précarité soit 15,4 % de la population en 2023, en particulier les indépendants, les familles monoparentales, et les enfants. Cette situation entraîne des enjeux de cohésion sociale mais également de dynamisme de la demande, explique Marine Raffray. Car en 2023-2023, la hausse des revenus disponibles s’explique essentiellement par la hausse des revenus du patrimoine, ce qui n’alimente pas la consommation mais l’épargne. Sans compter que les incertitudes sur les arbitrages politiques poussent également les Français à épargner davantage.
La baisse de la consommation entraîne des fermetures d’entreprises, notamment dans l’hôtellerie et la restauration, et les salariés touchés connaissent une baisse de revenus et diminuent leur consommation : un véritable cercle vicieux.
Réduction des volumes d’achats de la consommation à domicile
Au niveau alimentaire, cette baisse s’observe sur les achats des ménages pour la consommation à domicile. Si la restauration hors foyer (RHF) a de son côté progressé de 1,3 % en 2024 (par rapport à la moyenne 2015-2019), on ne peut pas pour autant parler de report puisque la consommation alimentaire s’est, en parallèle, repliée de — 3,8 % en volume. « Il faut donc bien admettre qu’il y a des pertes sèches en matière d’alimentation, résultant d’arbitrages de la part des ménages », indique Marine Raffray.
Une menace pour le monde agricole
Or, ces différences de consommation ont des impacts sur l’agriculture française. D’une part, la RHF privilégie moins les produits d’origine France, avec la recherche d’un coût-matière optimal. D’autre part, la baisse des achats pour les repas à domicile « entraîne des pertes de débouchés pour le tissu agro-industriel français », explique l’économiste.
Cette dernière évoque la situation des agriculteurs américains aux États-Unis dans les années 1930. À l’époque, un déséquilibre entre production et consommation a entraîné une dépression des prix agricoles. Un rapport d’économistes de la Brookings Institution conclut, en 1934, à l’influence de la sous-consommation. Selon les auteurs, une hausse des revenus modérée pour les ménages le plus précaires aurait pu permettre d’absorber l’excédent de production agricole et limiter la crise. En 1932, les dépenses des ménages américains avaient en effet chuté de 42 % par rapport à 1929. « Voilà qui pourrait résonner avec les préoccupations contemporaines des acteurs économiques, et singulièrement agricoles », estime Marine Raffray.
« Emettons l’hypothèse d’une hausse massive et générale des revenus des ménages, qui permettrait le passage des ménages du premier décile dans le deuxième, de ceux du deuxième dans le troisième, etc. Ces hausses de revenus engendreraient une progression des dépenses liées à l’alimentation de près de + 12 % soit plus de 100 milliards d’euros supplémentaires par an. Sachant que, selon l’Observatoire de la Formation des Prix et des Marges, sur 100 euros de dépenses alimentaires, 12,8 euros reviennent à la production agricole. Cela permettrait alors de générer 12,8 milliards d’euros supplémentaires pour le secteur agricole par an : l’équivalent du budget annuel de la Politique agricole commune pour la France », conclut l’économiste, rappelant à quel point la question des revenus des Français s’avère « intimement liée à celle des trésoreries des exploitations agricoles, et dans un contexte incertain pour le prochain budget européen et la Pac ».
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